Photo : « C’est une exposition terrible. » Le monde sous haute tension au musée de Grenoble

, Photo : « C’est une exposition terrible. » Le monde sous haute tension au musée de Grenoble

Menuisier, DJ, astronome ou lycéen, soixante-douze jeunes Ukrainiens soudain montés au front posent pour la Polonaise Wiktoria Wojciechowska. Une même lumière basse éteint les mines, assorties aux uniformes, glauques. Comme si l’image mimait le marécage où ces soldats s’enlisent. C’était il y a dix ans, après Maïdan et avant l’invasion russe, au début d’une guerre qui, aujourd’hui, n’en finit plus. Vraie « pièce de musée », cette galerie de portraits serrés est, en 2019, le premier des deux cent soixante-dix dons consentis par Antoine de Galbert au musée de Grenoble.

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Le musée de Grenoble se renouvelle

« Environ 70 % de ces œuvres ont été acquises par ma Fondation et 30 % proviennent de ma collection personnelle », précise d’emblée le philanthrope qui, depuis la fermeture en octobre 2018 de son lieu d’exposition parisien, La Maison Rouge, s’applique à étoffer les réserves publiques, du Centre Pompidou au château d’Oiron. Ajouté à la liste des bénéficiaires, le musée de Grenoble occupe une place particulière : « Grenoblois d’origine, Antoine de Galbert tenait à soutenir le musée de son enfance », rappelle son directeur, Guy Tosatto, insistant sur la dette de l’ex-galeriste à l’égard de « son premier lieu d’initiation », lequel accueillait en 2019 ses « Souvenirs de voyage », soit cent cinquante morceaux choisis de sa collection.

Guy Tosatto & Antoine de Galbert © Fondation Antoine de Galbert

Antoine de Galbert et Guy Tosatto, directeur du musée de Grenoble © Fondation Antoine de Galbert

Avant que les paroles ne deviennent actes, le conservateur signale au mécène la faiblesse du fonds de photographies, loin d’être à la hauteur de celui d’art moderne et contemporain, le premier en région. « Il fallait repartir de zéro », résume Guy Tosatto, décidé, au seuil de la retraite, à former un ensemble de caractère, certes lacunaire, mais suffisamment cohérent.

Stephan Gladieu, Centre commercial Kwangbok, Pyongyang, Corée du Nord, 2017 © Stephan Gladieu. Courtesy School Gallery / Olivier Castaing

Stephan Gladieu, Centre commercial Kwangbok, Pyongyang, Corée du Nord, 2017
© Stephan Gladieu. Courtesy School Gallery / Olivier Castaing

Le goût des marges

Face à l’ampleur de la tâche, le duo, très complice, élit en fil rouge la géopolitique, addiction d’Antoine de Galbert, soucieux d’éviter « le piège de l’actualité ». Si le fonds porte son nom, c’est que ce « bloc de réalité brute », taillé à la hâte mais avec soin, est l’expression directe de son goût. « Antoine est attiré par les marges, son intérêt pour l’art brut en atteste, analyse Guy Tosatto. Dans le domaine de la photographie, il se tient du côté des toxicos, des Tziganes, des gays, des punks… Il est ce fils de bonne famille séduit par un fourgon de police criblé de balles, l’une des premières images acquises ensemble à Paris Photo, chez Bruce Silverstein. »

Dorothea Lange, Black Maria, Oakland, série Public Defender, 1957 © Dorothea Lange

Dorothea Lange, Black Maria, Oakland, série Public Defender, 1957 © Dorothea Lange

« C’est une icône universelle, j’aurais pu l’acheter pour ma collection ! », renchérit l’intéressé, en arrêt devant ce tirage d’avant-guerre signé Dorothea Lange. Au rayon favoris, Guy Tosatto cite un portrait de Nelson Mandela par David Goldblatt, figeant en noir et blanc le fol espoir de la nation arc-en-ciel. Ou cette vue d’Auschwitz sous la neige par Patrick Zachmann, désert blanc long de deux mètres, opposant le silence à la folie de la Shoah.

Pilar Albarracín, Prohibido el cante, 2001 - 2013 © ADAGP, Paris 2023. Courtesy galerie Vallois

Pilar Albarracín, Prohibido el cante, 2001 – 2013 © ADAGP, Paris 2023. Courtesy galerie Vallois

Réunion de crises

Climat, foi, persona… De Beyrouth à Belfast, de Tbilissi à Téhéran, les crises sont légion dans cet album retenant, de l’atlas, les points chauds, et du passé, les années noires. « C’est une exposition terrible, mais relativement pudique, nuance Antoine de Galbert. Elle parle d’événements marquants à travers des œuvres d’artistes, pas des documents. » Paul Strand, Luc Delahaye, Sophie Ristelhueber… Quatre-vingt-quinze signatures figurent à l’accrochage, voulu sans effet ni commentaire, exception faite des cartels bavards, mêlant petite et grande histoires.

Chester Higgins, A Young Muslim Woman in Brooklyn, 1990 © Chester Higgins Jr. All rights Reserved. Courtesy Bruce Silverstein Gallery

Chester Higgins, A Young Muslim Woman in Brooklyn, 1990 © Chester Higgins Jr. All rights Reserved. Courtesy Bruce Silverstein Gallery

Chaque image prend ici la parole, adressant un message personnel dans l’intérêt commun. Et toutes les voix comptent : l’installation monstre d’Antoine d’Agata, mosaïque thermique brassant un millier d’instantanés des rues de Paris en pleine pandémie, résonne autant que ce petit tirage solitaire et anonyme de 1940, cadrant une roulotte dans un champ battu par les vents. Au mur, se croisent des visages graves de tous âges et de tous horizons : un GI au Vietnam, une musulmane à Brooklyn, un recteur en Bretagne, un migrant à Lesbos, un gitan de La Courneuve, Poutine, Mao…

Alexandre Lewkowicz, Les gitans, La Courneuve, 1966 © Alexandre Lewkowicz

Alexandre Lewkowicz, Les gitans, La Courneuve, 1966 © Alexandre Lewkowicz

Du petit peuple aux grands bourreaux, l’humanité entière défile et avec elle, un siècle de luttes, ouvrières, écologiques, féministes. Sombre, ce dédale rappelle celui emprunté par Marin Karmitz, aussi sensible au « bégaiement », à la tragédie : « Plus étroite encore que la mienne, sa collection est celle de l’exode, remarque Antoine de Galbert. Marin est par ailleurs très attaché à la notion de vintage, alors que je m’intéresse plutôt à ce que dit le tirage. Peu m’importe qu’il soit d’époque ou tardif. »

Mathieu Pernot, Mohamed Abakar, Mólyvos, Lesbos, 2020 © ADAGP, Paris 2023

Mathieu Pernot, Mohamed Abakar, Mólyvos, Lesbos, 2020 © ADAGP, Paris 2023

Humour et baisers volés

Le ton change et s’allège quand, en 2014, la reine d’Angleterre rend visite à la guilde des drapiers, pour le 650e anniversaire de l’homologation de la ligue par la monarchie. Toute l’ironie de Martin Parr point dans ce portrait de dos contraire aux conventions, négocié auprès de la galerie Clémentine de la Ferronnière. Autres antidotes à la morosité, les baisers volés par Jane Evelyn Atwood et Etienne Montes dans un parloir de la maison d’arrêt pour femmes de Dijon, ou sur le plateau du Larzac.

Martin Parr, La Reine d'Angleterre rendant visite à la guilde des drapiers, pour le 650e anniversaire de l’homologation de la ligue par la monarchie, 2014 © Martin Parr / Magnum Photos / Clémentine de la Féronnière Gallery

Martin Parr, La Reine d’Angleterre rendant visite à la guilde des drapiers, pour le 650e anniversaire de l’homologation de la ligue par la monarchie, 2014 © Martin Parr / Magnum Photos / Clémentine de la Féronnière Gallery

Ailleurs, une main nonchalante trimballe une paire de mocassins fatigués, une tête de mort à chaque doigt. Cet autoportrait d’Alberto García-Alix, acteur de la Movida, incarne la vie même, passagère, intranquille. La donation remonte son cours heurté, jusqu’à l’origine. À preuve, un jardin ouvre et ferme l’exposition. Dans l’entrée, Tomasz Tomaszewski observe un vieil homme scruter une mappemonde en métal à Suchowola, village perdu au nord-est de la Pologne, autoproclamé Centre de l’Europe. À la sortie, Bernard Descamps toise Boko, pygmée Aka aux aguets dans la clairière de Mabala, en Centrafrique. Deux paradis perdus, promesses d’un « avenir conscient ».

Bernard Descamps, Boko dans la clairière de Mabala, Pygmées Aka, Centrafrique, 1996 © Bernard Descamps

Bernard Descamps, Boko dans la clairière de Mabala, Pygmées Aka, Centrafrique, 1996 © Bernard Descamps


« Une histoire d’images. Donation Antoine de Galbert »
Musée de Grenoble, 5, place Lavalette, 38000 Grenoble
Du 16 décembre au 3 mars


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