2019-2024, le grand déclin des écologistes

«C’est un magnifique message d’avenir.» Le 26 mai 2019, dans la foulée des résultats des élections européennes, Yannick Jadot parade, à juste titre. Sa liste écologiste vient de s’emparer de la troisième place au nez et à la barbe de ses concurrents de gauche, largement distancés, La France insoumise (6,31%) et le Parti socialiste (6,19%), mais aussi de Les Républicains (8,48%). Avec son score de 13,48%, EELV a dupé les sondages qui lui attribuaient plutôt entre 7% et 9% des intentions de vote.

Cependant, le parti le sait: transformer l’essai après un scrutin européen qui lui est extrêmement favorable reste complexe. Les écologistes gardent notamment en mémoire le resplendissant succès de 2009 (16,28%, troisième, à environ 35.000 voix du Parti socialiste), resté lettre morte trois ans plus tard à l’élection présidentielle.

La donne semble malgré tout avoir changé. En 2020, la fièvre verte s’empare de la France: Lyon, Bordeaux, Strasbourg et Marseille, quatre des plus grandes villes du pays, voient des maires écologistes être élus. À cela, il faut ajouter la réélection d’Éric Piolle à Grenoble et les victoires dans d’autres grandes villes comme Annecy ou Besançon.

Reste donc à convertir l’essai lors du scrutin présidentiel, lequel a toujours résisté à EELV. Pendant l’année 2021, Yannick Jadot est régulièrement donné aux alentours de 10% par les instituts de sondage, dans un chassé-croisé constant avec Jean-Luc Mélenchon pour le leadership à gauche. Mais petit à petit, l’insoumis lui dame le pion, grignotant des voix chez la socialiste Anne Hidalgo, mais aussi chez EELV.

La perspective d’une union de la gauche (sous-entendu d’un retrait en faveur de Mélenchon) fait son chemin, gonflée par les prises de position de la concurrente déchue de Yannick Jadot à la primaire écologiste, Sandrine Rousseau. Cette petite musique joue en défaveur des écologistes, qui sombrent peu à peu dans les sondages, tandis que le vote utile profite au candidat LFI. Au soir du premier tour, avec 4,63% des voix, Yannick Jadot n’obtient pas le remboursement de ses frais de campagne.

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C’est un premier coup d’arrêt pour EELV. «Dès janvier 2022, on a vu les électeurs se déclarant proches des écologistes se détourner du vote Jadot vers celui de Mélenchon. C’est un vote de précaution pour ces électeurs qui conscientisent qu’avec l’insoumis au second tour, l’écologie serait présente», nous explique Daniel Boy, directeur de recherche émérite au Centre de recherches politiques de Sciences Po et spécialiste de l’écologie politique.

Dès lors, la sempiternelle question revient: le parti doit-il faire l’union de la gauche (la fameuse Nupes), notamment avec La France insoumise? Si pour le scrutin législatif, la réponse est clairement positive, c’est pour la suite et notamment l’élection européenne que le parti est fracturé sur la question. L’aile gauche, représentée par Sandrine Rousseau ou encore Éric Piolle, pense que oui, tandis que Yannick Jadot s’y refuse, pointant des divergences profondes avec les insoumis.

La décision est finalement prise de partir seul. Marie Toussaint conduira une liste écologiste autonome, opposée à tous les alliés de la Nupes, que cela soit LFI, mais aussi le Parti socialiste ou le Parti communiste français. Les sondages semblent faire payer ces tergiversations. EELV, rebaptisé entre-temps Les Écologistes, est annoncé à 6% par le sondage BVA du 27-28 mars 2024, derrière les socialistes et les insoumis. Cela représente près de deux fois moins d’électeurs qu’il y a cinq ans. Comment expliquer cette chute vertigineuse?

La difficile expérience de l’écologisme municipal

Depuis 2020, EELV, qui était jusque-là une force d’appoint ou d’opposition, découvre le difficile exercice du pouvoir au niveau local. Jusqu’à cette date, le parti n’avait dirigé que Montreuil et la région Nord-Pas-de-Calais entre 1992 et 1998.

Avec quatre des dix plus grandes villes de France dans leur escarcelle, les écolos doivent désormais s’atteler à administrer ces métropoles. Les premiers pas se révèlent compliqués, avec de nombreuses polémiques médiatiques. Parmi ces dernières, on peut citer la sortie de Grégory Doucet (maire de Lyon) qui qualifie le Tour de France de «machiste et polluant», celle de Léonore Moncond’huy (Poitiers) qui annonce vouloir retirer «l’aérien des rêves des enfants», ou encore le choix de Pierre Hurmic (Bordeaux) d’ôter le sapin de Noël de la ville pour le remplacer par un conifère en verre et en acier. «Ces polémiques ont été grossies par la presse, tempère Daniel Boy. Elles ne disent rien de la capacité des écologistes à diriger des grandes villes.»

Les opposants aux Écologistes leur reprochent une posture trop éloignée de la réalité du terrain. Une sorte d’immaturité politique, pour un parti jusqu’alors cantonné à un rôle d’opposition.

Des positions et des propos clivants donc, à l’image de ceux, aussi, d’Éric Piolle. Déjà élu en 2014, le représentant de l’aile gauche du parti avait réussi le tour de force de se faire réélire six ans plus tard. Mais depuis, l’édile se retrouve lui aussi empêtré dans des polémiques. La plus retentissante concerne sans doute le burkini. En 2022, l’ancien candidat battu à la primaire écologiste choisit de faire voter un règlement intérieur autorisant le port de ce vêtement religieux, recouvrant le corps, dans les piscines. Tollé politique local: une partie du groupe écologiste se fracture, la région dirigée par Laurent Wauquiez (LR) gèle temporairement les subventions et, malgré la fermeté de Piolle, le Conseil d’État annule ce règlement.

Les questions liées à la sécurité sont aussi une épine dans le pied des écologistes. Les oppositions se déchaînent. Grenoble est ainsi «devenue la première ville de France pour les agressions violentes et les vols à la tire pour 1.000 habitants», assure le conseiller municipal d’opposition Alain Carignon auprès de CNews. À Bordeaux, les agressions physiques ont augmenté de 32% en 2023. «Ce sujet de la sécurité, ça ne les intéresse pas. Ils ne veulent pas s’en saisir et c’est un vrai problème, parce que les Bordelais vivent dans une ville où l’insécurité est grandissante», dénonce l’élu d’opposition Nicolas Pereira (groupe Bordeaux ensemble). D’après le politiste Daniel Boy, «il y a un manque de compétence et un manque d’intérêt sur ces questions de sécurité, mais c’est un problème inhérent à l’ensemble de la gauche. Les écologistes en France sont très à gauche et sont issus d’un courant de pensée qui n’a qu’un refrain sur les questions de sécurité: la police de proximité.»

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Même sur leur sujet de prédilection, les maires écologistes sont tancés. L’un des débats les plus épineux reste la question de la voiture, très populaire chez les Français mais source de pollution et ennemie pour les dirigeants écologistes. L’exemple le plus parlant reste peut-être celui de Bordeaux, où Pierre Hurmic joue la carte de la piétonnisation: de 40 hectares piétons en début de mandat à un objectif de 100 en 2026. «Ce genre de changements se font dans la douleur. Comment fait-on quand on doit recevoir des proches? Quand on doit déménager?», expliquait ainsi un habitant à Actu Bordeaux.

Plus largement, les opposants aux Écologistes leur reprochent une posture trop dogmatique et éloignée de la réalité du terrain. Une sorte d’immaturité politique, pour un parti jusqu’alors cantonné à un rôle d’opposition1 – Avant 2020, seules deux villes de plus de 100.000 habitants avaient été gérées par les Verts: Montreuil et Grenoble. 1.

Division au sein du parti

L’opposition ne provient pas uniquement des autres partis. Elle existe également au sein même d’EELV, où deux courants majeurs s’opposent, entre une aile plus réaliste et une autre davantage inscrite dans la radicalité. Ce dualisme a pu être observé lors de la primaire du parti en 2021 où, lors du second tour, la première sensibilité était représentée par Yannick Jadot et la seconde par Sandrine Rousseau.

Si les programmes des deux candidats à l’investiture étaient assez proches dans leurs propositions, la ligne Rousseau proposait toujours un ancrage «plus à gauche» que celle de son adversaire (par exemple, sur le revenu universel d’existence proposé à 660 euros par Jadot et à 850 euros pour la députée parisienne).

Les deux lignes s’écharpent aussi sur des sujets comme les violences faites aux femmes. Preuve en est avec l’affaire Julien Bayou. Le député écologiste est accusé de «violences psychologiques», «harcèlement» et «abus de faiblesse». Les accusations avaient été rendues publiques par… Sandrine Rousseau sur le plateau de «C à vous». À l’époque, en septembre 2022, Julien Bayou avait sérieusement tancé sa collègue, l’accusant d’être «allée trop loin» et appelant à ne «pas confondre féminisme et maccarthysme».

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Bayou a finalement démissionné deux ans plus tard, le 2 avril 2024, après le dépôt de plainte de son ex-compagne. Mais le traitement de cette affaire aurait ulcéré une partie des militants, qui compare le sort réservé à Julien Bayou à une forme d’hallali.

Le parti, semblant se déchirer médiatiquement à maintes reprises, sait aussi retrouver des moments de calme. Preuve en est au congrès de 2022, remporté largement par Marine Tondelier, qui n’était soutenue ni par Yannick Jadot ni par Sandrine Rousseau, chacune des deux têtes d’affiche ayant fait le choix d’un autre candidat. «Le fait qu’il y ait des courants marqués n’est pas l’apanage d’EELV exclusivement, explique Daniel Boy. La dualité entre écoféminisme et écoréalisme n’a d’ailleurs pas empêché le congrès de bien se dérouler.»

Le choix de Marie Toussaint comme tête de liste aux européennes, est, à ce titre, de bon augure, puisque cette dernière est plus reconnue pour ses qualités de juriste que pour son appartenance à une ligne politique. Une manière de faire la synthèse entre les deux pans du parti.

Le climat évincé?

Si Europe Écologie-Les Verts a si bien réussi au scrutin européen jusqu’ici, c’est grâce à la prédominance du sujet écologique lors des campagnes. En 2009, la diffusion du documentaire Home de Yann Arthus-Bertrand, sur l’état de la Terre vue du ciel, quelques jours avant le vote, aurait eu un impact significatif sur le scrutin selon plusieurs observateurs. Avec 8 millions de téléspectateurs, le film a réalisé un carton d’audience. Données à 11% avant la diffusion, les listes vertes sont passées à 16,28% le jour du vote.

En 2019, la campagne électorale avait laissé une forte place à l’écologie, dans le sillage des des manifestations dites de l’Affaire du siècle2 – En décembre 2018, Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France ont demandé la poursuite de l’État français en justice pour inaction climatique. 2 et avec la représentation de la très médiatique militante suédoise Greta Thunberg. Même le président de la République Emmanuel Macron avait marqué sa volonté d’une politique écologique plus volontariste avec sa célèbre saillie «make our planet great again»3 – En réponse à la volonté de Donald Trump de sortir des accords de la COP21. 3. Au cœur des préoccupations, la protection de l’environnement s’est donc traduite dans les urnes. La percée verte n’a d’ailleurs pas eu lieu qu’en France: avec 9,3% sur l’ensemble de l’Europe, ce scrutin représentait un record, symbolisé par les 20,53% des Grünen allemands ou les 16% en Finlande.

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Mais en 2024, l’écologie n’est plus au premier rang des préoccupations. «C’est paradoxal, car les désordres climatiques ont été beaucoup plus nombreux ces dernières années qu’en 2019. Je pense qu’il y a une sorte de paralysie dans les esprits face à ces inquiétudes», note Daniel Boy. D’autres sujets comme la sécurité, la guerre en Ukraine ou le pouvoir d’achat sont davantage mis en avant. Des problématiques sur lesquelles la différence entre les propositions des écologistes et celles de leurs concurrents est moins palpable.

Alors, pour pallier ce manque d’entrain pour l’écologie, Les Écologistes – Europe Écologie Les Verts a choisi de miser sur son deuxième sujet de prédilection, symbolisé par Sandrine Rousseau: le féminisme. «Il y a trois figures centrales et médiatiques chez les écologistes aujourd’hui que sont mesdames Tondelier, Rousseau et Toussaint. Elles ont un discours unifié, très féministe mais qui semble au regard des intentions de vote ne toucher qu’un segment de la population, les jeunes femmes. Or, pour obtenir un bon score, cela ne suffira pas», alerte Daniel Boy. Et pour cause: au 11 avril, selon le dernier sondage IFOP, la liste de Marine Toussaint séduisait 10% des 18-24 ans mais seulement 3% des plus de 65 ans. Pour renouer avec leurs succès électoraux, pas si anciens, les écologistes savent donc quel électorat tenter de conquérir.

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